Les âmes sensibles qui n'aiment pas entendre les critiques devraient s'abstenir de lire mon message et passer au suivant. Je ne mâcherai pas mes mots et je serai direct. Bien sûr, il s'agit d'une opinion personnelle, d'autres viendront probablement équilibrer les points de vue en émettant des commentaires plus positifs.
Quel échec épouvantable! Non seulement la soirée de clôture était-elle exempte de ce pourquoi elle existe (la remise des prix qui clôture l'événement) mais, en plus, on nous a servi un feu qui rappelait l'expérience autrichienne l'année dernière, avec 15 longues minutes de plus. Le pire, c'est que cette triste fin était presque scénarisée tellement les indices s'étaient multipliés au fil des semaines. J'avance une explication à cet échec: voilà ce qui arrive quand des gens qui ne connaissent pas grand chose à la pyrotechnie ne se mêlent pas de leurs affaires.
Commençons par le feu. Dès la fin du décompte, on s'est limité à quelques fusées éclairantes et à une narration qui laissaient déjà entrevoir le pire. Le premier segment de 10 minutes, hommage aux artisans fondateurs de l'événement, était caractérisé par une narration longue et inutile, beaucoup de blabla, d'une mère qui raconte ses premiers feux vus à La Ronde avec ses parents et qui, aujourd'hui, y amène son fils. Alors que je m'ennuyais et que je retournais ma tête pour observer les réactions des spectateurs autour de moi, j'ai vu un faisceau lumineux partant de la régie vers le devant de la Place du Canada: il éclairait une actrice et un jeune acteur qui, je suppose, se déplaçaient au gré du récit. On peinait à les voir et je me demande bien ce qu'ils apportaient au spectacle, tout comme cette narration qui ne soutenait en rien le feu. Sauf, peut-être, lors d'un segment où la mère énumérait diverses couleurs qui se matérialisaient dans le ciel par l'éclosion de pièces de gros calibre. Je ne me souviens pas d'avoir vu du gros calibre éclater sur une narration.
La pièce de résistance, l'hommage de 35 minutes au Cirque du Soleil, était à l'avenant. Ici, pas de narration, mais une bande musicale un peu étrange, qui a certainement permis de réaliser à bien des gens que la musique du Cirque est méconnue. Et qu'elle est sans doute plus appropriée pour accompagnée des performances acrobatiques que pyrotechniques. Le concepteur expliquait en entrevue, cette semaine, avoir volontairement écarté Alégria, une pièce très connue du public. Ce fut une grave erreur: voilà une porte d'entrée par laquelle il aurait été possible d'accrocher le public. J'ai été vraiment déstabilisé par cette bande sonore avec laquelle je n'éprouvais aucune familiarité. Lorsque les flammes sont apparues pour la première fois, j'ai été surpris et ébahi: jamais nous n'avions vu un effet pyrotechnique si près de nous à La Ronde; en plus, elles étaient lancées suivant une longue distance, avec des séquences étonnantes. Mais on a abusé de ce dispositif qui était beaucoup trop récurrent. Il y avait peut-être beaucoup de gaz pour générer ces flammes, mais le concepteur en a manqué pour développer un spectacle qui soit captivant. Le spectacle manquait de constance et de densité, pour dire le moins. Et il manquait aussi une finale. Si nous avions eu un spectacle de meilleure qualité pendant les 44 premières minutes, l'absence de cette figure imposée aurait peut-être pesé moins lourdement dans la balance.
Bien des spectateurs ont sans doute apprécié le spectacle, mais les applaudissements à la fin m'ont semblé polis, tout au plus. C'est dommage car il y avait un grand auditoire à La Ronde hier soir. À mon arrivée, vers 17h30, des affiches indiquaient déjà que tous les billets étaient vendus. C'est la première fois depuis plusieurs années que cela survient.
Mais dès mon arrivée, j'ai remarqué une autre chose: quelque chose ne tournait pas rondement à La Ronde. Une grande table devant les tourniquets accueillait les invités VIP du Cirque du Soleil. Partout le long des allées, des flèches indiquaient la direction à suivre pour se rendre au cocktail des invités VIP du Cirque. Ici, une aire de rafraîchissement était réservée à ce cocktail. Là, des tentes étaient érigées pour une autre activité VIP. Au Jardin des étoiles, la décoration de la salle était plus élaborée que d'habitude et un comité d'accueil prévenait que diverses sections étaient réservées ce soir-là. Même Michel Lacroix a dû se contenter d'un lutrin sur une petite scène de fortune aménagée sur la surface bétonnée de la Place du Canada, la scène flottante qui arbore les drapeaux des pays en compétition ne pouvant être ancrée à son lieu habituel en raison des installations produisant les flammes. Une fois le spectacle terminé, la musique traditionnellement entendue - extraite de l'album 1492 de Vangelis - a été remplacée par Alégria (tiens donc). Hier soir, La Ronde n'était pas elle-même, ce n'était pas le même lieu que celui que je fréquente chaque soir de feu depuis 13 ans. Hier soir, un éléphant semblait être passé dans le magasin de porcelaine. Hier soir, La Ronde était envahie par le Cirque du Soleil, tel un conquérant devant qui les conquis font toutes les courbettes possibles pour plaire au nouveau maître des lieux.
Il est difficile pour des personnes extérieures à une organisation, comme nous, de savoir ce qui se passe à l'intérieur, mais on peut faire certaines déductions. Le jupon a clairement dépassé la semaine dernière lorsque Paul nous a révélé, dans son interview, que le Cirque avait "demandé" que le feu soit produit par Fiatlux, cette firme québécoise étant un partenaire d'affaire du Cirque pour certaines de ses productions. Dès que l'identité de la firme produisant le feu de clôture a été connue, le printemps dernier, des réserves sérieuses ont été émises dans ce forum, et avec raison. Pourquoi choisir pour un feu d'une telle ampleur une firme qui, malgré plusieurs participations au concours d'art pyrotechnique de Montréal, n'a jamais remporté de Jupiter d'or, d'argent ou de bronze? Fiatlux a une orientation artistique très particulière, misant sur les effets de bas niveau et la pyrotechnie de proximité. Le problème des gens de Fiatlux, c'est qu'ils ne semblent pas avoir encore compris que La Ronde est un amphithéâtre de grande envergure et que les spectateurs sont répartis dans un rayon de plusieurs kilomètres. Faire un feu à La Ronde, ce n'est pas faire de la pyrotechnie sous un chapiteau, dans le studio de Star Académie ou sur l'esplanade de la Place des arts.
Il y a quelques années, un artificier américain m'expliquait que le degré de difficulté dans la conception d'un feu varie de façon exponentielle avec la durée: au-delà d'un seuil de 15-20 minutes, chaque tranche de temps additionnelle accroît toujours davantage le coefficient de difficulté car l'artificier est poussé dans ses derniers retranchements pour maintenir l'intérêt de l'auditoire: il doit maîtriser une plus grande variété de produits, les utiliser de manières différentes, avoir plus d'idées, etc. C'était écrit dans le ciel, tel un mauvais scénario, que Fiatlux n'était pas en mesure de relever ce défi. La bouchée était bien trop grande. S'il importait de faire appel à une firme québécoise, Ampleman, BEM ou Royal auraient mieux fait l'affaire, bien que le défi aurait également été de taille pour ces firmes.
Face à cette "demande" du Cirque et considérant la feuille de route de Fiatlux à La Ronde, on imagine que les personnes immédiatement impliquées dans l'événement (je pense à la directrice de la compétition et au directeur technique) ont dû avoir quelques doutes dans leur esprit. Le fait qu'on ait accédé à la requête du Cirque me laisse croire que la direction des feux n'y est pas pour grand chose et que la décision a dû être prise à un niveau plus élevé, par la direction de La Ronde ou, peut-être, au siège social de Six Flags. J'imagine qu'il en va de même pour le report de la remise des prix. On nous disait, au cours de l'été, que la justification de ce report était de laisser toute la place au Cirque du Soleil. Mais voilà que nous apprenions, voilà une semaine, qu'une partie du feu serait un hommage aux fondateurs de l'événement! Cela n'a aucun sens et témoigne d'une grande improvisation.
L'hiver dernier, lorsqu'un communiqué de presse nous a appris qu'un feu de clôture de 45 minutes allait être présenté en collaboration avec le Cirque du Soleil à l'occasion du 25e anniversaire des deux organisations, bien des questions demeuraient en suspens. Y aurait-il des performances acrobatiques du Cirque intégrées à ce spectacle? Quelle firme allait produire le spectacle? Avec le recul, j'ai l'impression que bien des gens à La Ronde ignoraient encore les réponses à ces questions au moment où l'événement fut annoncé. Voilà peut-être la raison pour laquelle la liste des firmes a-t-elle été dévoilée si tardivement cette année. Et si on n'a pas parlé plus tôt de cet hommage aux pionniers de l'événement, c'est sûrement parce qu'on ne se doutait pas que cela arriverait et qu'on était sur l'impression que les 45 minutes seraient vraiment dédiées au Cirque! Pour créer un feu de 45 minutes qui soit du même calibre que ceux présentés en compétition, il aurait fallu un temps de préparation encore bien plus important. Improvisation et pyrotechnie ne font pas bon ménage.
La compétition d'art pyrotechnique de Montréal est un événement de calibre exceptionnel et son succès est largement attribuable à ceux et celles qui sont directement impliqués dans sa réalisation, en particulier l'équipe des artificiers de La Ronde pour qui les artificiers étrangers ne tarissent pas d'éloge. Il me semble évident que l'équipe des feux n'a pas de leçon à recevoir de la direction de La Ronde ou du siège social de Six Flags pour mener à bon port chaque édition de cet événement. Au contraire: ces derniers devraient plutôt se concentrer à l'amélioration de l'opération des manèges - qui constituent le premier produit de vente de tout parc d'amusement - qui, depuis tellement d'années, est une véritable plaie à La Ronde. En ce sens, l'excellence de l'équipe des feux devrait d'ailleurs les inspirer.
Si je laisse aller mon imagination encore quelques instants, peut-être puis-je supposer que l'idée de faire appel au public pour déterminer la bande sonore du feu d'ouverture via un concours avec le diffuseur officiel de La Ronde n'émanait pas des organisateurs des feux, mais plutôt du service du marketing? Quelqu'un qui s'y connaît le moindrement dans la pyrotechnie comprend bien que le choix musical est une opération délicate, qui doit être menée avec soin, afin d'obtenir un spectacle de qualité qui sera doté d'une certaine cohérence. On peut bien faire certains reproches à la firme Panzera dont la performance d'ouverture n'était pas bien forte, mais la commande qui leur a été passée était peut-être empoisonnée avec cette contrainte de taille. Quant à l'idée de ce "tableau" hommage à Michael Jackson (vraiment, les hommages, je ne suis plus capable!), peut-être cela émane-t-il aussi du service du marketing ou d'une autre tête bien pensante dans les stratosphères de l'entreprise? Je peine à imaginer l'angoisse de Paul Csukassy devant la commande qui lui a été passée de faire un tel "tableau" avec aussi peu de temps pour se préparer, alors que la compétition était toujours en cours. (À l'époque du feu des pyjamas, il disposait de 4-5 semaines pour faire l'inventaire des pièces disponibles et concevoir un spectacle, avec d'ailleurs un excellent résultat.) Était-ce le secteur du marketing qui avait décidé, aussi, de "congédier" Michel Lacroix en 2002 pour plutôt laisser le micro à l'animateur radiophonique de l'époque? Si les gens du marketing s'occupaient de leurs affaires (la vente, la publicité et les relations publiques) et que la direction de La Ronde/Six Flags faisait de même (finances et opérations), et que la pyrotechnie était laissée aux gens de la pyro, peut-être que cela irait mieux, non? Peut-être aussi que mon imagination est trop forte et que rien de tout ce qui précède n'est vrai. Mais je serais étonné d'être à ce point à côté de la track.
En conclusion, on nous avait promis une soirée bien différente des autres pour clôturer cette 25e édition. Pour être différente, elle l'a été! Tout cela est bien dommage, car une ombre est jetée sur une saison qui, par ailleurs, a été de grande qualité. Nous avons eu la chance d'assister à des spectacles de haut niveau et la compétition est certainement très serrée. Ce sont plutôt de ces huit feux en compétition dont nous devrons nous souvenir. Leurs artisans le méritent!
Fred |